Le Ranquet en Vadrouille...Carnet de route.

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Malawi 1,... Quand les collines brûlent

Malawi 1,

 …quand les collines brûlent.

 

La Zambie est derrière nous .Nous traversons le poste frontière à pied.

 

 C’est presqu’un soulagement  d’arriver au Malawi, ce petit pays d’Afrique Australe qui étire du Nord au Sud sa longue et maigre silhouette de 840 km, en grande partie le long du lac Nyassa, plus connu  sous le nom de « Lake Malawi ».

 

Tout de suite on se sent bien ici…

 

Est-ce grâce au portrait souriant de la nouvelle Présidente Joyce Banda, paraissant épauler dans le poste de douane, le travail des officiers de l’immigration, ou plus simplement parce que le tampon d’entrée sur notre passeport ne nous coûte pas un Kwacha ? Les deux peut-être!

 

La poursuite de notre découverte du Malawi nous amènera à fortement nuancer notre première impression.

 

Les Malawite ont obtenu le droit d’aller pratiquement partout dans le monde entier sans visa payant ; en retour l’étranger qui arrive au Malawi a la gratuité d’accès.

 

 C’est une bonne affaire…pour nous!

 

 L’équation ne parait guère équilibrée, les Malawite ont déjà des  soucis pour faire deux repas par jour, on les imagine mal pouvoir prendre l’avion!

 

Après le Libéria, Joyce Banda est devenue la deuxième femme dirigeant un pays Africain. Vice-Présidente sous l’ancien gouvernement, la loi Constitutionnelle l’a nommée Présidente en début d’année  suite au décès de l’ancien chef d’Etat.

 

Gouverner un pays qui comptera 20 millions d’habitants en 2015, avec un taux de scolarisation en secondaire parmi les plus faibles du monde*(1), et un ratio d’enfants et d’adultes victimes du VIH de l’ordre de 15 à 20% *(2), on imagine aisément l’énorme défi qui attend la nouvelle Présidente.

 

Après une nuit passée à Lilongwe, grosse ville provinciale qui fait office de Capitale, nous étions pressés de rouler vers le lac…la plage, la brise, le repos sous les eucalyptus!

 

Notre court arrêt dans cette ville nous aura permis une rencontre intéressante : partageant la même guest house au cœur de la cité, nous avons sympathisé avec Mme Wooles, Néozélandaise d’un âge certain, et directrice du Parc National Nyika situé au nord du pays.

Il s’agit  d’un des parcs les plus en vue du Malawi bénéficiant du fameux plateau d’altitude Nyika qui offre de somptueux paysages de montagne…le vent y est souvent puissant, la nuit les températures peuvent descendre sous le degré zéro.

 

Mme Wooles nous a invités, nous ne lui avons pas fait de promesses, les distances sont longues et le temps passe…En revanche, Anna sa fille nous a laissé son adresse à Wellington où elle tient un magasin de souvenirs…ce sera plus facile pour nous de pousser la porte d’Anna une fois  en Nouvelle Zélande!

 

Avant de quitter Lilongwe, nous faisons plusieurs tentatives pour trouver un distributeur de billets qui fonctionne ; nous sommes prévenus, au bord du lac mieux vaut avoir du cash, les distributeurs sont rares.

 

 Une fois repérée la machine magique qui accepte de libérer les liasses de Kwachas, nous pillons le mur à quatre reprises pour le montant maximum autorisé (très peu) et nous gonflons nos poches de billets  verts qui ont la couleur du Dollar, la valeur en beaucoup moins.

 

Le bus pour Nkotakota  est déjà  bien occupé. C’est  dans les rangées du fond que l’on trouvera deux places. Les sièges sont délabrés, le bus très fatigué, le capot du moteur est ouvert, deux employés bricolent le bourrin et font un complément d’huile.

 

Aucune inquiétude à avoir, les Africains sont des stars de la mécanique et  nous savons la route du lac en bon état, un point positif!

 

Nous avons chargé les sacs en bouteilles d’eau et de Coca pour supporter le trajet.

 

 A côté de Marie, un jeune gamin, dépenaillé, sale et qui à chaque regard croisé, nous gratifie d’un très grand sourire. Son père est assis deux rangées devant. Le père fournit son fils en petits sachets d’eau fraiche que le gamin perce délicatement  avec ses dents afin de s’hydrater.

 

À chaque intention du père pour son fils, aucun mot n’est échangé, seulement des sourires de part et d’autre…Je transverse dans une petite bouteille d’eau vide du Coca qui est encore frais, le gamin regarde avec attention la manœuvre…

Marie lui tend la bouteille, le minot nous remercie d’un large sourire…pas un mot…, il glisse la bouteille dans son sac plastique contenant des oignons rouges.

 

Au fil des kilomètres, la chaleur s’intensifie dans le bus et notre petit voisin ne consomme toujours pas le Coca, il semble protéger son trésor…veut il le ramener pour ses frères et sœurs?

 

À la faveur d’un arrêt, à travers la fenêtre du bus, le père achète deux sachets de frites…il en donne un à son fils… à nouveau des sourires  complices et tendres entre eux.

 

 Je fais également l’achat d’une bouteille de Coca fraîche au « Windows shopping » et la tend  au gamin : son visage s’illumine, énorme sourire, il glisse de la même façon le butin dans le sac plastique…pas un mot.

 

Marie me dit penser le petit muet.

 

Cette fois il consent à boire en petites  gorgées la première bouteille  de Coca qui ne doit plus être très fraiche…méticuleusement, il entreprend de défaire le lien qui ferme le sachet de frites, il écarte l’ouverture du sachet et timidement nous tend  le paquet, grand sourire et dit « You want ? »

 

Baldwin a dix ans, il parle bien sûr!...La première chose qu’il a voulu faire avec ses frites, c’est de nous rendre la pareille;

 

un moment simple chargé d’émotion au fond d’un bus …

 

À ce moment-là, le sourire de Baldwin et ses frites valaient tout l’or du monde!

 

Baldwin a quitté le bus avec sa bouteille de Coca dissimulée dans le sac sous les oignons…par la fenêtre nous l’avons suivi  s’effacer avec son père sur le sentier menant à son village.

 

Il est 17h quand le bus nous dépose à Nkhotakota, un village de pêcheurs  à proximité du lac Malawi. Le crépuscule s’annonce, mais les collines enserrant la baie brûlent de nombreux feux, dégageant une épaisse fumée dans un  ciel qui peu à peu s’obscurcit.

 

Il nous faut trouver une voiture pour descendre sur le rivage et rejoindre « Fish eagle bay », le lodge que nous avons  choisi  pour un repos de quelques jours.

 

 Je refuse les propositions exorbitantes des rares propriétaires de voitures parquées face aux échoppes…Devant une supérette, un gros 4X4 patiente, c’est la voiture du Pakistanais propriétaire du magasin…le « Paki » est sympa, il me dit bien connaitre Camille, le gérant du lodge, il téléphone et me tend le mobile : dans un excellent Français, Camille nous demande de patienter, il va venir nous chercher.

 

La solution est donc trouvée ! Nous commandons deux bières pour arroser l’affaire, nous avions juste oublié que nous étions chez un « Paki »…alors ce sera deux Coca.

 

Camille a soixante ans, mais en parait cinquante, c’est un Congolais de Kinshasa, il a marié sur le tard une Malawite qui lui a fait deux jolies petites filles : Joséphine et Marie-Galante…

 

Camille est une mine d’informations à lui tout seul sur l’Afrique…la chaotique histoire de sa vie mériterait un film : ancien directeur en charge de la qualité chez  «General Motors » à Kinshasa, il a quitté  le grand désordre  du Congo et l’interminable guerre dans son pays, pour tenter de trouver plus de sécurité «ailleurs».

 

Il a vadrouillé du Kenya à l’Ouganda en passant par la Tanzanie, l’Afrique du Sud et la Zambie,   exerçant ses talents de chanteur dans un « African band » qu’il avait créé avec son frère. Ça marchait du feu de Dieu dit-il!

 

Camille a posé son balluchon au Malawi.

Il est devenu le gérant du « Fish Eagle Bay » qui appartient à un Sud-Africain… «… Mais c’est Jean Paul et Brigitte qui ont tout fait ici ; des Français…je vais vous expliquer… » Ajoute-il.

 

Le pick- up avance lentement sur la piste sableuse qui rejoint le lac…partout des feux de brousse éclairent la nuit, la colline de Sina dominant la plage s’éclaire toujours du bush en feu…

 

« Ici, ils font beaucoup de bêtises…c’est le manque d’éducation…Kotakota c’est très retardé…ils ne comprennent pas, ils détruisent.. » déclare Camille.

 

Quand nous arrivons au lodge, la lune argente le lac…

 

Nous devinons que cette nuit nous dormons au paradis près des manguiers dont c’est la pleine saison des fruits. Un coin d’Eden entouré de misère.

 

« Reposez-vous bien !...demain je vais vous expliquer ! » nous dit Camille.

 

 C’est notre première nuit au bord du lac Malawi. Nous nous endormons au son du bruit des vagues…ici c’est le grand calme! Derrière notre hutte, sur la colline, la maigre végétation achève de se consumer noircissant les troncs d’arbres.

 

 

*(1) : le gouvernement annonce un taux de scolarisation en primaire de l’ordre de 97%.

 

 Or nous avons pu constater en visitant l’école de Sina, au bord du lac Malawi, et avoir longuement conversé à deux reprises avec le directeur de l’établissement, ce qui se cache réellement derrière les chiffres :

 La plus part des enfants sont inscrits donc ils sont officiellement scolarisés. Une grande partie d’entre eux fréquentent l’école quelques heures par jour, voire par semaine : les activités agricoles ou la pêche en bordure du lac, priment sur l’assiduité en classe.

 

 Les enseignants ne pénalisent pas les familles qui font travailler les enfants, préférant convaincre de la nécessité de la scolarisation, mais le poids de la tradition est fort…

 

Travailler au champ, faire la pêche, c’est l’assurance d’avoir de quoi manger…l’école ne nourrit pas!

Sur les 1042 enfants « scolarisés » à Sina l’année passée, 4 poursuivent leur études dans le « secondaire », ils ont entre 12 et 16 ans, les nivaux n’étant pas liés à l’âge de l’élève.

 

 

*(2) officiellement le sida est en régression…c’est probable car un vaste programme de prévention est mis en place par différentes ONG.

 

 Cependant le Malawi est un des pays Africains où le taux de prévalence de la maladie reste le plus élevé du continent. À cela plusieurs raisons, l’extrême pauvreté, le manque d’éducation bien sûr, mais pas seulement!

 

Nous avons eu du mal à le croire, mais lors de notre séjour à Nkotakota, Camille nous a présenté un « chef coutumier » circulant à vélo dans la ville.

 

 Cet homme doit avoir dans les 60 ans, il est malade, le sida le ronge. Régulièrement, les familles lui « confient » des jeunes gamines pour effectuer sa « toilette »…

 

C’est la tradition ! Certaines fillettes offertes peuvent avoir dix ans!

 

 Camille ajoute dégouté : « Plusieurs parfois dans la même journée…les familles  sont fières d’apporter l’offrande au chef ! » Se protège-t-il ? « Protège »-t-il ses victimes?

 

Alors info ou intox?

 

 Malheureusement c’est la réalité dans les contrées rurales bordant le lac!

 

Quelques jours plus tard, cela nous sera confirmé, lorsque nous rencontrerons Narella et Dawn, deux Australiennes en charge de programmes sanitaires pour « l’Armée du Salut ».

 

Narella vit au Malawi et connait bien la situation et les abus de pouvoir des chefs coutumiers…Pour qualifier ces pratiques, les Anglo-Saxons parlent d’«entranched cultural pratices » qu’on peut traduire par  « encrage profond des traditions »

 

 Un article récent de l’AFP fait état d’une tout autre méthode en milieu urbain, faisant des dégâts chez les jeunes filles, et impliquant les Occidentaux :

il s’agit des « papas gâteaux » qui profitent de la vulnérabilité des gamines et de leur misère…j’y reviendrai ultérieurement.

 



06/11/2012
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