Le Ranquet en Vadrouille...Carnet de route.

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Laos 1, Le Mékong, une glissade et vingt dollars...

Laos 1,

 

Le Mékong, une glissade et vingt dollars…

 

Le conducteur du « tuck tuck » stoppe son moteur en haut de la pente qui mène à l’embarcadère. Nous descendons à pied au poste d’immigration.

En contrebas, le lent courant du Mékong charrie une eau boueuse, opaque.

 

Le Mékong n’a rien de majestueux ici… Ses berges sont herbeuses, dominées par des plantes invasives.

Vestiges d’une ancienne crue sans doute, sacs poubelle et bidons de plastique s’accrochent aux halliers qui bordent ses rives.

 

Depuis sa naissance en Himalaya, le fleuve nourricier d’Asie du Sud Est, paraît en cet endroit reprendre son souffle avant de libérer toute sa puissance en son delta au Sud de l’«Indochine».

 

En file indienne, des poids lourds s’assoupissent devant les barges  qui assurent la traversée du fleuve. Les chauffeurs la tête appuyée sur le volant patientent pour que l’une d’elles se libère.

 

De l’autre  côté, le Laos attend : riz, carburant, ciment et produits manufacturés en provenance de Thaïlande … Les Chinois ne sont pas les seuls fournisseurs du Laos…Pas encore!

 

D’étroites et longues embarcations bâchées drainent les piétons qui franchissent le fleuve. Nous nous tassons à bord de la barque. Deux minutes après nous oublions l’emprunte de nos pas sur  la berge limoneuse qui clapote au pied de Houé Xai.

 

Nous voilà au Laos.

 

Au poste de douane, les militaires, engoncés dans des uniformes de toile verte d’un autre âge, cassent la croûte.

Pour obtenir nos visas, nous allons devoir lanterner le temps que la collation se termine.

 

Les moteurs des barges, inlassablement, ronronnent entre les deux berges distantes d’à peine trois cents mètres. À chaque départ de navette, les diesels crachent une crasse noire qui s’élève droit dans le ciel. La frondaison découpée des palmiers frémit imperceptiblement ; tout est calme, presqu’immobile.

 

Même le drapeau communiste refuse de flotter. Sa fierté semble être mise en berne; il pend lamentablement ses couleurs délavées par le temps : le jaune de la faucille et du marteau doute du rouge pisseux devenu transparent.

 

Sans sourire, le douanier tamponne le sticker qui valide l’entrée dans le pays Lao.

 

Sac sur le dos, nous progressons lentement dans la rue principale de Houé Xai surplombant le Mékong. De chaque côté, restaurants, guesthouses et échoppes se partagent l’espace.

 

Avec une terrasse à chaque étage offrant une carte postale sur le fleuve, Sabaydee guesthouse nous ouvre ses portes : une lumière presque blanche s’engouffre dans le hall dessinant sur les murs, en ombres chinoises, les contours des palmiers de la rive du Mékong.

 

À Sabaydee guesthouse tout est propre, astiqué, le carrelage est luisant, les carreaux de faïence sont des miroirs…

 

La première nuit au Laos a été délassante.Paisible.

 

Au petit matin je pousse la porte de la chambre qui s’ouvre sur le long corridor inondé de la clarté de l'aube.

Le carrelage brille encore plus que la veille…

Nu-pieds, je fais un seul pas avant de voir le plafond chavirer. D’abord le coude droit, puis instantanément l’arrière de la tête, heurtent violemment le sol…

La gamine qui vient de passer la serpillère, le balai à la main, s’esclaffe en voyant le « falang »* se ramasser une super gamelle !

 

Une chute, ça fait  souvent rigoler !

 

Je me relève, le sang a commencé à maculer le carrelage qu’elle vient de laver. Je l’engueule vertement en la rendant responsable de ma chute.

 

À la vue du sang qui coule abondamment et trempe de rouge écarlate mon tricot, elle panique et se met à pleurer.

 

Marie ne panique pas ; elle me fait assoir et commence à couper les cheveux libérant la plaie. Le gérant calmement a déjà en main les clés de sa voiture.

 

Léger malaise sur la chaise sans perte de connaissance.

 

Une serviette autour du cou, je suis à l’arrière du véhicule qui roule vers l’hôpital tout proche.

 

Une infirmière achève le travail de coiffure entamé par Marie…la plaie en zigzag n’est pas très belle.

Sous le contrôle d’un jeune médecin distribuant quelques mots de Français, l’infirmière suture en six points.

Je sors du bloc un peu sonné, mais heureux que le voyage ne s’interrompt pas sur une glissade…

 

Il est huit heures quand nous regagnons l’hôtel. La gamine adolescente que j’ai stupidement réprimandé est prostrée dans un coin et continue de sangloter.

 

Je tente d’excuser ma réaction du matin, aussi nulle qu’inadaptée, mais rien n’y fait, elle refuse de m’adresser un seul regard!

 

En sortant nu-pieds sur un carrelage humide je m’assurais toutes les « chances » d’une telle chute.

 

Nous avions réservé deux places dans un minibus en partance pour Luang Nam Tha au Nord du Laos.

Sacs bouclés, pansement sur la tête, comprimés avalés, nous sommes dans les temps pour le bus. Mais je ne peux pas décemment quitter l’hôtel dans ces conditions en ignorant la jeune Lao pleurant une injuste semonce d’un touriste maladroit !

 

Je reste désemparé car je n’ai pas de solution immédiate pour lui signifier mon regret.

Je n’ai guère le choix…on n’achète pas tout avec l’argent, mais je ne vois pas d’autre alternative.

Je plie un billet de vingt US$  et le lui glisse dans ses mains qui se tordent.

 

Pas un regard, pas un mot.

 

Nous chargeons nos sacs sur le dos, une dernière fois je lui tends la main…Les yeux rougis, la gamine à son tour me tend la main.

 

Soulagement.

 

Dans trois jours nous revenons à Houé Xai dans cette même guesthouse…Nous allons nous revoir…

 

Avant de m’endormir dans le minibus, j’aperçois le ballet des barges qui croisent sur le Mékong. Le Fleuve s’éloigne de la route qui mène au Nord.

 

Dans quatre heures nous serons à Luang Nam Tha aux portes du Yunnan, province de Chine.

 

*Au Laos, « Français »  se dit « Falang ». C’est aussi le terme générique pour désigner les occidentaux.

 

 



19/01/2013
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